Israël

Chants : ARC 151 ;550 ;  ; 552 ;
Lectures : AT : Ex. 19, 1-6
Épître : (Rom. 9, 1-8.14-16) Évangile : Lc 19, 41-48
PR : Rom 11, 25-32

Depuis la naissance de l’Église chrétienne, elle a pour ainsi dire un problème avec les juifs. Disons pour être plus précis, avec les juifs non-chrétiens ou non-messianiques. Si le plan de Dieu est de faire de Jésus le Christ la clé et la porte du paradis et donc du Salut, que penser des enfants d’Abraham, Isaac et Jacob qui ne veulent rien savoir de Jésus ?
Les premiers chrétiens sont des juifs convertis par Jésus lui-même. Et des juifs, judéens et galiléens, touchés par le témoignage des apôtres. À eux, se joignent très vite « des juifs et des prosélytes », comme dit Luc dans les Actes des Apôtres, venus des pays voisins et de l’Empire Romain.
Tant que les judéens et galiléens dominent la communauté, il n’y a que peu de soucis avec les autorités du Temple, représentant les juifs non convertis. L’intervention d’un chrétien issu de la diaspora juive, Etienne, suscite des hostilités – et, nous dit Luc, motive la mission pour Saül d’avertir les communautés juives de la diaspora : la foi en Jésus est incompatible à l’orthodoxie juive.
Saül devenu Paul fréquente d’abord les synagogues pour évangéliser, mais se heurte à une opposition assez forte. Les nouveaux baptisés se voient expulsés des communautés juives auxquels ils appartenaient, et en même temps en communion avec des païens baptisés, qui n’ont pas le moindre lien à Abraham.
Cela suscite des questions. Les païens baptisés, « paganochrétiens » du terme technique, doivent-ils s’intégrer dans la communauté juive ? C’est le débat entre Paul et Jacques : la circoncision est-elle nécessaire pour être pleinement chrétien ? Ou le baptême prend-il la place de la circoncision comme rite d’entrée dans la communauté ? Dans ce cas, est-ce que l’Église a pris la place de la filiation d’Abraham ?

La position de Paul est claire : la loi de Moïse est donnée aux enfants d’Abraham, pour ceux qui ne sont pas nés dans cette filiation elle n’a pas d’importance. Mais l’Église ne prend pas la place de la communauté juive, elle en est une branche, même une branche implantée, qui ne peut ni ne doit se défaire de ses racines si elle ne veut pas désècher elle-même.
Oui, d’accord – mais… est-ce que les juifs maintenant ont le salut divin, ou sont-ils perdus à jamais puisqu’ils ne croient pas en Jésus ? Paul pourrait nous répondre que chacun devrait se soucier de son propre sort, mais il préfère nous expliquer. Enfin… il ne lèvera pas entièrement le mystère.
Tout d’abord, que les juifs s’obstinent à ne pas croire en Jésus, c’est dans le plan de Dieu. Parce que c’est nécessaire pour que le reste du monde puisse être gagné pour le Christ.
Oui, vous avez bien entendu. Il faut que les juifs ne croient pas, pour que le reste du monde puisse croire. Si les juifs croyaient, les autres ne pourraient pas… comment ça ? Y a-t-il de l’antisémitisme déjà à l’antiquité, qui ferait que personne ne veut faire ce que font les juifs ? Eh oui…
Mais il fallait aussi libérer l’Évangile des liens de la Loi qui risquaient de l’enfermer. Et qui nous guettent encore ! Il fallait, et il faut chaque jour à nouveau, affirmer la pure grâce contre toutes ces pensées si humaines qui veulent nous faire croire que pour être chrétien, il faut respecter tant et tant de règles. Et qu’est-ce qu’on n’a pas tout pu inventer comme obligations et interdictions ! Il faut prier tant et tant par jour, tenir un moment spirituel quotidien d’au moins tant de minutes, il ne faut pas se couper les cheveux (quand on est femme), il ne faut pas les laisser pousser (quand on est homme), il ne faut pas fréquenter trop de personnes du sexe opposé, il ne faut pas aller au cinéma, pas danser… Alors qu’il n’y a que deux règles, et qui ne se commandent pas : aime Dieu, et aime ton prochain. Il n’y a même pas d’interdit prononcé !
L’argumentation de Paul monte encore d’un cran : autrefois, les juifs étaient sur la bonne voie avec leur Loi, et les non-juifs qui ne respectaient rien de cette Loi, étaient dans l’erreur. Maintenant, les non-juifs qui croient en Jésus, vivent la miséricorde de Dieu, ils sont donc sur la bonne voie mais toujours sans la Loi, alors que les juifs avec leur Loi, depuis la venue du Christ, sont sur le chemin de l’erreur. Ainsi change le monde…
Mais la situation ne restera pas comme elle est maintenant. Car Dieu qui pour l’instant enferme les juifs dans leur refus du Christ, compte maintenir sa fidélité envers son peuple choisi. Il veut l’inclure dans sa grâce et sa miséricorde.
Mais comment faire miséricorde à celui qui est enfermé dans un système de Loi, dans une structure de justice par punition et récompense ? Dans un tel système, la miséricorde, la grâce n’a pas de place parce qu’elle mine les fondements même de ce système. Elle est contre notre nature humaine – si vous ne me croyez pas, il suffit de voir les réactions quand les juges ordonnent la mise en liberté d’un supposé malfaiteur pour vice de procédure. C’est un élément de la justice que la procédure doit être respectée afin que la culpabilité soit prouvée et non supposée, mais voir en liberté celui qu’on aimerait voir pendu, c’est dur.
Pour sortir de cette justice, il faut passer par l’injustice. Il faut entrer en contradiction avec la justice : il faut devenir injuste. Dans le système de la Nouvelle alliance, est injuste qui s’attache à la Loi au lieu de croire en Jésus. Voilà tout le paradoxe : en continuant à vivre selon ce qui était juste hier, il se rend injuste aujourd’hui. Changement de paradigmes.
Maintenant il faut qu’il reconnaisse son injustice, pour devenir capable à se confier à la miséricorde de Dieu. C’est ce qui, pour l’instant, n’est pas donné au peuple juif. Il reste dans son fonctionnement ancien.
Mais un jour, il reconnaîtra Jésus comme le Messie promis, le Fils de Dieu. Ce sera un jour de joie pour tous les enfants de Dieu, judéochrétiens ou paganochrétiens.
Reste la question de la mission. Après 1945, quelques Églises européennes ont déclaré qu’il n’y aurait plus d’activité missionnaire auprès des juifs. Et elles avaient raison, dans la mesure où cette mission sousentendait que l’Église avait pris la place d’Israël dans l’Alliance de Dieu.
Néanmoins, nous sommes invités à témoigner du Christ dans notre vie de tous les jours, à être missionnaires chacun par nos actes et nos paroles, par le fait de simplement être des enfants de Dieu. Devant les yeux et oreilles des athées,des soi-disants laïques, des musulmans, des spiritistes, et aussi des juifs. Ce serait une forme d’antisémitisme de les priver de l’Évangile que nous vivons… Pas de mission ciblée, mais pas non plus de non-mission ciblée. Et quand Dieu voudra, quand il jugera le temps venu, il suscitera une grande conversion parmi tous ceux qui aujourd’hui ne croient pas en Jésus. Dont les juifs, peut-être en derniers, pour qu’ils obtiennent la miséricorde ultime.
Et nous, qui vivons déjà de cette miséricorde, traitons-les du plus grand respect, et dans un esprit fraternel. Le peuple juif connaissait Dieu quand nos ancêtres priaient encore les arbres et les sources. En ancienneté d’histoire avec Dieu, il gardera toujours une longueur d’avance.
Amen.